Le vieillissement cellulaire est un processus multifactoriel d’altérations moléculaires menant à la dégradation progressive des fonctions biologiques. C’est un facteur majeur de risque pour de nombreuses maladies (cancer, atteintes cardiovasculaires, pneumonies…) que l’on retrouve bien entendu dans le contexte de la COVID-19. Ces altérations se traduisent au niveau du génome, de la signalisation intracellulaire, des organelles et du phénotype cellulaire. En effet, la population occidentale vieillit dans une proportion jamais connue auparavant. Par exemple, aux Etats-Unis, le nombre de personnes âgées surpassera celui des enfants en 2034. Dans cette perspective, il devient essentiel de mieux comprendre les mécanismes de la biologie du vieillissement qui en retour éclairent des aspects de la crise de la COVID-19.
Les poumons jouent en effet un rôle majeur sur la santé générale d’un individu, et l’altération progressive de ses fonctions dues à l’âge (à partir de 35 ans) est directement associée aux risques de maladies, respiratoires ou non. Les poumons constituent une interface unique entre nos tissus internes et l’environnement extérieur (et ses agressions). Il s’agit de l’organe interne du corps humain doté de la plus grande surface et il est constitué de plus de 40 types cellulaires différents organisés en strates. L’âge augmente le risque d’inflammation chronique obstructive, de fibroses interstitielles (les +75 ans ont 50 fois plus de risque que les 18-34 ans), ou de cancer des poumons. Avec le vieillissement de la population, le taux d’incidence des cancers est en hausse. Le cancer du poumon est celui qui provoque le plus de décès (25%), malgré 5 traitements approuvés par la FDA (Food and Drug Administration). De même, les infections respiratoires sont une cause majeure de décès chez les personnes âgées, en particulier par des pneumocoques et par la grippe (30 fois plus de risque de décès).
Normalement, le vieillissement se traduit d’abord par des changements morphologiques et physiologiques. On observe une réduction progressive de la surface alvéolaire, de l’élasticité, des capacités d’auto-nettoyage (clairance mucociliaire) et du réflexe de toux (nettoyages mécaniques).
Il semble que chacun des types cellulaires subisse des altérations spécifiques qui ont des conséquences face au virus SARS-CoV-2. Plus particulièrement, l’épithélium respiratoire constitue la première ligne de défense entre l’environnement extérieur et nos tissus internes. L’âge y provoque un déclin de la régulation épigénétique (le profil d’expression des gènes se modifie), un raccourcissement des télomères, une altération des fonctions et de la production de mitochondries (centrales d’énergie de nos cellules).
Dans cet épithélium alvéolaire, majoritairement composé de pneumocytes de type 1 (AT1), les AT2 sont des cellules souches progénitrices qui permettent de réparer et de régénérer le système respiratoire, mais qui produisent aussi le surfactant pulmonaire (complexe tensioactif nécessaire au fonctionnement respiratoire). Ces cellules perdent la capacité à se renouveler, à se différencier, à métaboliser les lipides qui composent le surfactant ou à reconnaitre le soi (CMH). Le milieu interstitiel (espace entre les cellules) est quant à lui essentiel pour le fonctionnement, l’élasticité et la cohésion de l’ensemble du microenvironnement pulmonaire. Ses fonctions déclinent aussi avec l’âge puisque les fibroblastes entrent en sénescence (risque de fibrose), et certains métabolismes (collagène, élastine, lamine, fibronectine) y sont progressivement modifiés, le tout entraînant un accroissement de la rigidité.
Constamment exposés à divers stress (matières, aérosols, polluants, radiations, agents chimiques, lésions, cigarettes ou hypoxie), les poumons doivent pouvoir faire face. Mais ses mécanismes de résistance s’altèrent aussi avec l’âge. La protéostase ou l’ensemble des mécanismes qui régulent la « vie » des protéines voit son efficacité diminuer. C’est le cas avec la réduction de l’autophagie qui dégrade normalement les protéines mal synthétisées ou les agents extérieurs internalisés. Quand elle se réduit, cela favorise l’apparition de stress protéolytique et de fibroses. C’est particulièrement important pour les cellules AT2 qui synthétisent et sécrètent beaucoup de facteurs pour produire le surfactant.
Caractéristique typique des fibroses pulmonaires, la dégradation des mitochondries dysfonctionnelles (mitophagie) est aussi altérée, due à une dérégulation de l’expression de certains gènes (PINK1, Parkin). Entre autres conséquences, la réponse à l’hypoxie (manque d’oxygène) est dérégulée dans les cellules AT2, qui contiennent pourtant plus de 50% des mitochondries pulmonaires et qui maintiennent l’équilibre énergétique en conditions anaérobies (perturbations des voies mTOR, AMPK, HIF2⍺).
La réponse au stress oxydatif est aussi modifiée. En effet, les ROS (Reactive Oxygen Species) sont des intermédiaires métaboliques de l’oxygène, élaborés de manière endogène (mitochondries) ou exogène (fumée de cigarette) et qui s’accumulent avec l’âge. Leurs niveaux doivent être finement régulés (c’est le rôle des antioxydants) car leur accumulation dans les cellules provoque des mutations dans l’ADN et l’oxydation des molécules avoisinantes. Ces molécules perdent donc leurs fonctions et devraient être dégradées, mais elles s’accumulent car l’autophagie est moins efficace. Des taux élevés de ROS sont associés aux cancers des poumons, aux fibroses et à l’hypertension pulmonaire, problèmes particulièrement accentués par la fumée de cigarette. Ce stress cellulaire ralentit la clairance mucociliaire, ce qui favorise donc les infections et l’accumulation de débris. Comme dans les autres tissus, la sénescence (arrêt des divisions cellulaires) joue un rôle important dans cette fragilisation globale des poumons, notamment au niveau du remodelage du milieu interstitiel.