Depuis le début de la pandémie COVID-19, des variants du SARS-CoV-2 sont apparus. Parmi eux, les « variants préoccupants » (variants of concern, VOC) ont acquis plusieurs propriétés biologiques : meilleure transmissibilité, virulence accrue, résistance aux anticorps neutralisants acquis par vaccination ou par infection naturelle, échappement aux traitements et à certaines méthodes de détection. Ces propriétés s’expliquent par des mutations apparues dans la protéine Spike qui régit l’entrée virale dans la cellule-hôte par interaction avec le récepteur humain ACE2.
Spike est en effet composée des sous-unités S1 et S2. S1 est elle-même composée du RBD (receptor binding domain), du NTD (N-terminal domain) et des sous-domaines SD1 et SD2. Le RBD oscille entre des états ouverts (interaction possible avec ACE2) et fermés (pas d’interaction). S2, invariable, est quant à lui composé des sous-domaines FP (fusion peptide), HR1/2 (heptad repeat), CH (central helix), TM (transmembrane), et CT (C-terminal). Spike existe à l’état naturel sous forme trimérique (assemblage de 3 protomères Spike). Au cours de l’infection, elle subit de nombreux changements dans sa structure car plusieurs de ces domaines peuvent interagir entre eux.
Trois mutations du RBD, qui est la cible majeure des anticorps neutralisants, ont suscité l’intérêt des scientifiques. Les variants Gamma (ɣ) ou brésiliens et Bêta (β) ou sud-africains portent les mutations K417N (K417T pour Gamma), E484K et N501Y. Le variant Alpha (a) ou anglais porte N501Y et une délétion (DFVI), apparue aussi chez une souche responsable d’une transmission de l’homme au vison puis à homme en Hollande (repérée ailleurs par la suite). Bien que ces VOC soient apparus à des endroits différents et qu’ils arborent différentes mutations, ils semblent toutefois évoluer vers des propriétés communes.
Des chercheurs américains de l’Université de Duke ont tenté de mieux comprendre les changements que ces mutations provoquent dans la structure de Spike. Pour cela, ils ont combiné des approches structurales, biochimiques, et de la modélisation informatique afin de caractériser les propriétés de 19 protéines Spike portants diverses combinaisons de mutations.
Il apparaît que le variant Alpha échappe aux anticorps neutralisants ciblant le NTD, alors que les variants Gamma et Bêta échappent aux anticorps neutralisants ciblant le NTD et le RBD. Le variant hollandais DFVI n’échappe pas aux anticorps neutralisants. En revanche, tous les variants ont une liaison à ACE2 qui est plus efficace. Ces résultats corroborent d’autres études (par tests de neutralisation notamment) et valident l’approche expérimentale des chercheurs.
Chez tous les variants, la meilleure transmissibilité est soutenue par une meilleure capacité du RBD à être en position ouverte, mais aussi par des mutations du RBD qui augmentent l’affinité pour le récepteur. Chez le variant hollandais, la meilleure affinité pour ACE2 lui a d’abord été fournie par Y453F, ce qui lui a permis de changer d’hôte. Mais d’autres mutations provoquent de l’instabilité, due à un mauvais placement de la sous-unité S1 d’une des chaînes de Spike au sein du trimère, menant à son exposition prématurée. Chez le variant Alpha, le contact entre les régions SD1 et HR1 permet d’accroître la proportion de RBD en état ouvert, soulignant l’importance des mutations en régions distales (de part et d’autre de Spike). Certaines mutations déstabilisent la protéine (T716I, S982A) et d’autres la stabilisent (D1118H, A570D), ce qui prévient une exposition prématurée de S1. Chez les variants Gamma et Bêta, ce sont des interactions RBD-RBD qui augmentent la proportion de RBD ouverts. La mutation E484K déstabilise Spike mais va leur permettre d’échapper aux anticorps neutralisants ciblant le RBD. Des mutations du RBD peuvent modifier les interactions entre protomères, et d’autres mutations distales peuvent moduler ces effets.
Ce travail confirme de nombreuses autres données de la littérature, mais selon une approche structurale. Il montre et détaille comment les mutations, présentes chez les VOC, modifient la structure de Spike en faisant apparaître un réseau d’interactions entre domaines, notamment entre les différents protomères. En utilisant différents mécanismes, ces mutations permettent de contrôler la disposition de RBD en position ouverte, ce qui fournit aux différents VOC des propriétés communes de transmissibilité et d’échappement. Ces résultats peuvent servir de base pour anticiper les futurs changements du SARS-CoV-2.