Pour lutter efficacement contre la pandémie de COVID-19, nous devons mieux comprendre les interactions du SARS-CoV-2 avec son hôte. Cela requiert de connaître les fonctions de chaque protéine virale, mais aussi leurs interactions avec les protéines cellulaires. Les études « omiques » sont des approches systématiques permettant de comprendre le fonctionnement du vivant dans son ensemble et au niveau moléculaire. Elles sont devenues essentielles au développement de la médecine personnalisée.
Une équipe de chercheurs allemands de l’Université de Munich a réalisé une étude « multi-omique » complète sur des cellules humaines de carcinome pulmonaire (des cellules cancéreuses de laboratoire) infectées par le SARS-CoV-2 ou le SARS-CoV. Pour comprendre les rôles et interactions de chaque protéine virale, on les a distinguées, introduites dans les cellules, purifiées puis analysées en spectrométrie de masse. Les effets de l’action concertée des protéines virales chez l’hôte ont été évalués dans les mêmes cellules infectées par les deux virus, puis l’expression globale des ARNm, des protéines et de leurs modifications post-traductionnelles (MPT) a été analysée en fonction du temps. Intégrer toutes ces approches fournit une compréhension globale et unique des interactions virus-hôte. Par exemple, si une protéine particulière n’est plus exprimée après l’infection virale, on saura si le virus a dérégulé la transcription ou bien s’il a induit son ubiquitination pour qu’elle soit dégradée par autophagie. On pourra aussi identifier la protéine virale responsable. Si toute une voie de signalisation est perturbée, on observera des redondances pour conforter le résultat. Pour valider leur approche et tester les points de vulnérabilité identifiés, ces chercheurs ont évalué in vitro les effets de 48 drogues spécifiques connues.
Quelles ont été leurs observations ? Les deux virus dérégulent de nombreux processus cellulaires à différents niveaux (transcription, MPT, interactions protéines virales/cellulaires). Certains sont communs : ils inhibent tous deux la réponse interféron (IFNa/b) au niveau transcriptionnel, activent d’autres signatures pro-inflammatoires, dérégulent les mécanismes associés à l’intégrité de la barrière épithéliale (EDF1) et altèrent les fonctions mitochondriales et leur dégradation (mitophagie). Cependant, de nombreuses différences pourraient expliquer la réplication et la pathogénicité plus élevées du SARS-CoV, qui activent d’ailleurs beaucoup plus fortement la réponse NF-kB. Le SARS-CoV-2 cible particulièrement la réponse innée (les protéines virales M, ORF3 et 7b régulent les voies MAVS et TNF-⍺), la réponse adaptative (ORF8 régule la voie TGF-β), le stress cellulaire (HSPA1A), la réparation de l’ADN (ATM/ATR), le métabolisme intracellulaire, le métabolisme du cholestérol, l’autophagie (ORF3 et NSP6 régulent la voie DEPTOR/RICTOR) et l’entrée virale (ACE2, RAB7A). La voie des MAPK (survie, croissance) est très fortement dérégulée par phosphorylation après l’infection.
De plus, les inhibiteurs des voies B-RAF (Sorafenib), JAK1/2 (Baricitinib), ou MAPK (SB239063) accroissent significativement la réplication virale. Mais, celle-ci est bloquée si on provoque des dommages à l’ADN (Tirapazamine) ou si on inhibe mTOR (Rapamycin). Les inhibiteurs de métalloprotéases (Prinomastat) bloquent uniquement la réplication du SARS-CoV-2 puisque leur activité est liée à la voie TGF-β. Les effets antiviraux les plus marqués sont observés en inhibant la voie FLT3/AXL (Gilteritinib, efficace contre les 2 souches), AKT (Ipatasertib) et les métalloprotéases (Prinomastat, Marimastat). Certains résultats reflètent les observations cliniques et les données avérées de la littérature : l’autophagie étant inhibée, APOB s’accumule dans les cellules, ce qui est connu pour favoriser la thrombose. Dans les cas de COVID-19 sévères, les fibroses et œdèmes pulmonaires sont associés à une dérégulation de la voie TGF-β.
Ce catalogue de données systématiques enrichit nos connaissances et notre compréhension des mécanismes moléculaires régissant le cycle des coronavirus. Il éclaire les différences de pathogénies entre les souches. Les auteurs espèrent que leurs travaux seront exploités par la communauté scientifique afin d’identifier de nouveaux antiviraux et conseillent de combattre le SARS-CoV-2 sous plusieurs angles (voies de signalisation), en utilisant des thérapies combinées.